Exemple vécu de médiation
Ou quand l'office du Juge trouve ses limites
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L’histoire est désormais suffisamment ancienne pour pouvoir être racontée, qui plus est de façon parfaitement anonymisée.
La société A est un prestataire reconnu de services de haute technologie. Elle a notamment pour client Z, une organisation implantée dans différents pays pour laquelle elle développe et gère l’ensemble de ses ressources technologiques. Une panne brutale survient au cœur des infrastructures de Z conduisant à une interruption temporaire de ses activités sur l’ensemble de ses établissements dans le monde.
Dans la suite de cette panne, Z met en cause la responsabilité de A. Les parties ne parvenant pas à s’entendre sur la réparation de ce sinistre, dont le principe même de responsabilité est contesté, Z assigne A devant le tribunal qui désigne un juge-rapporteur.
Les débats vont être longs et complexes amenant le tribunal à ordonner successivement plusieurs rapports d’expertise afin d’évaluer le préjudice potentiel. Comme cela peut (parfois) se produire, les rapports d’expertise aboutiront à des conclusions contradictoires, et seront donc tous contestés alternativement par les parties. L’enjeu reste néanmoins d’importance puisque portant sur une demande de réparation de préjudice estimé de plusieurs dizaines de millions d’euros.
Au terme de nombreuses audiences devant le juge-rapporteur, la clôture des débats est prononcée et le jugement mis en délibéré. Quelques heures avant le prononcé du jugement, les parties informent le juge-rapporteur qu’à l’initiative des parties et de leurs conseils, une médiation a été mise en place en toute confidentialité pendant le cours du délibéré, et que cette médiation vient d’aboutir in-extremis à la signature d’un accord transactionnel. L’affaire est alors retirée du rôle le temps que les parties régularisent un désistement d’instance et d’action, et le jugement (une cinquantaine de pages, abondamment délibéré et soigneusement motivé), ne sera jamais prononcé et … n’a donc jamais existé.
L’explication de cette médiation extra-judiciaire et assez inhabituelle à ce stade d’une procédure judiciaire peut se résumer ainsi : A avait fini par considérer que l’atteinte potentielle à sa réputation était in fine le sujet stratégique prioritaire pour elle. Elle considérait dès lors qu’elle ne pouvait prendre le risque du prononcé d’un jugement et de son caractère public. Le sujet pour A ne pouvait désormais être tranché par une juridiction judiciaire, ce n’était plus une question de responsabilité, de quantum d’une indemnisation, c’était avant tout une affaire d’image de marque à préserver, que seule la confidentialité que peut offrir une médiation était à même de résoudre. Et l’office du Juge, même diligent et investi dans sa mission, trouvait ainsi là sa limite…
Président de chambre honoraire au Tribunal de commerce de Paris, Jérôme Pierre est médiateur au Centre EQUi-T.